
Près de 90 collégiens et lycéens étudiant le français de toute la Tchéquie ont participé à la finale du Concours de lecture à voix haute, qui s’est tenue, lundi, à l’Institut français de Prague. Cette année, alors que sera commémoré, le 8 juin prochain, le 80e anniversaire de la mort de l’auteur au camp de Terezín, la poésie de Robert Desnos servait de support textuel. Reportage.
09/04/2025
Par Thomas Curtelin
« C’était le poème ‘Âge, voyages et paysages’ que j’ai lu avec mon amie Anička. C’était très émouvant. Ça parlait de l’été, des amis, de l’amour, donc ça m’a plu. »
Lycéenne à Ostrava, Lucie Ruferová était une des participantes à cette finale du concours de lecture de poésie à voix haute, grâce à une capsule vidéo réalisée avec son amie dans laquelle les deux jeunes filles se mettent en scène tout en lisant de la poésie.
Comme Lucie, de nombreux étudiants de vingt-trois établissements de toute la Tchéquie ont tenté leur chance, poussés par leurs professeurs de français. Enseignante au lycée Jazykové gymnázium Pavla Tigrida à Ostrava, Dana Gracová explique pourquoi elle a choisi d’inscrire ses élèves au concours :
« Parce que je l’adore ! Nous participons depuis sept ans, et c’est pour nous toujours un grand plaisir. Cela me plait de transmettre l’amour de la poésie avec les organisateurs du concours. Quels sont les retours ? Je pense - ou tout du moins j’espère - que les élèves aiment la langue française, qu’ils y sont fidèles, qu’ils aiment améliorer leur français et surtout qu’ils peuvent développer leur amour de la littérature et de la poésie françaises. C’est aussi une découverte, car je pense que la plupart des élèves ont découvert le poète Robert Desnos avec le concours de cette année. »
En plus de la projection des capsules vidéo, certains élèves ont également réalisé une lecture sur scène devant leurs camarades, après une matinée de préparation avec l’équipe du Théâtre de l’Imprévu. Basée à Orléans, cette compagnie qui est au cœur de l’organisation du concours, travaille en Tchéquie depuis 2007. Claire Vidoni, qui en est une artiste associée, raconte comment elle a préparé tous ces jeunes Tchèques :
« Nous avons effectivement travaillé sur des textes de Robert Desnos. J’avais trois petits poèmes, assez courts, et neuf élèves. Je les ai fait travailler en chœur, c’est-à-dire que chacun prenait une, deux ou trois répliques, et parlait à tour de rôle, en étant très près les uns des autres, comme dans un chœur, donc, afin que cela donne une seule et même voix. Un peu comme s’ils étaient la voix de Robert Desnos. Il a fallu un peu leur expliquer le texte, parce que c’est toujours un peu onirique, un peu difficile de comprendre la poésie, surtout quand celle-ci est dans une langue étrangère. Mais ils ont très bien compris. J’ai trouvé des synonymes, des images, pour leur faire comprendre ce que signifiaient les poèmes. C’est ainsi que nous avons travaillé sur un poème, puis sur un deuxième et un troisième, tout cela en l’espace de deux heures. Les élèves ont été très efficaces et je trouve qu’ils s’en sont très bien sortis pour deux heures de travail sur des textes qu’ils ne connaissaient pas. D’autant plus que c’étaient des collégiens, donc des élèves très jeunes. Je crois qu’ils aiment la langue, qu’ils aiment travailler le français. »


La poésie de Robert Desnos était un choix symbolique pour cette édition 2025, car, le 8 juin prochain, 80 ans se seront écoulés depuis la mort du poète surréaliste français en Tchéquie, au camp de Terezín. Outre cet anniversaire, Éric Cénat, directeur du Théâtre de l’Imprévu, revient sur les qualités de la poésie de Desnos qui lui ont donné envie de présenter ses textes aux collégiens et lycéens tchèques :
« Déjà, à titre personnel, Robert Desnos est mon poète de chevet, un grand homme qui m’accompagne depuis tellement longtemps... J’ai fait beaucoup de spectacles, de lectures. Je me suis rendu sur les lieux où il a vécu. Je le connais donc bien, j’ai comme une fraternité avec lui. Sa poésie me touche parce qu’elle est variée. Elle est très intéressante aussi pour des jeunes gens, car elle leur parle de grands sentiments, comme l’amitié et l’amour, bien sûr. Elle leur parle aussi de la fraternité au-delà d’un pays. Il y avait vraiment, chez Desnos, une volonté de rapprochement des peuples. Et puis, il parle aussi de façon très positive. Il est beaucoup question dans son œuvre des plaisirs de la vie, et, ça aussi, c’est un message que j’aime tout particulièrement. »
La poésie joyeuse, musicale, pleine de jeux de mots de Desnos conviendrait donc parfaitement à des élèves de tout âge. Les collégiens se sont ainsi frottés aux Chantefables et Chantefleurs, des poèmes courts et amusants mettant en scène des animaux ou des plantes, tandis que leurs aînés lycéens ont, eux, travaillé sur des poèmes plus exigeants, explorant les thématiques des sentiments. Une belle découverte, ou même redécouverte pour certains, comme pour Lucie Ruferová qui avait déjà participé au concours et travaillé sur des textes du poète : « Oui, parce qu’il y a trois ans, c’étaient aussi des textes de Robert Desnos. Mais avant cela, je ne le connaissais pas, cela m’a donc permis de le connaître. »

Lancé en 2017, le concours de lecture à voix haute existe depuis maintenant neuf ans. Eric Cénat, qui en est à l’origine, revient sur sa création et son développement :
« C’était d’abord une expérimentation, nous nous sommes lancés dans le vide en ne sachant absolument pas du tout si les enseignants ou les élèves nous suivraient dans notre envie. Et en fait, cela a fonctionné. C’était incroyable ! Dès la première année, des centaines de jeunes ont travaillé sur le corpus de textes que j’avais sélectionnés sur le voyage et la poésie. C’est un concours qui ne s’est jamais arrêté, sauf durant la pandémie. Mais la poésie étant plus forte que tout, nous avons repris dès que cela est redevenu possible. »
Le concours de lecture à voix haute, qui s’inscrit dans le cadre du projet plus vaste des Nové Frankofonní Scény (Nouvelles scènes francophones), témoigne aussi d’un attachement à la langue et à la culture françaises encore bien présent chez certains jeunes Tchèques. Lycéenne à Hradec Králové, en Bohême de l’Est, Justýna Jansová a ainsi ouvert le concours avec une présentation de la culture cinématographique française : « Mon père parle français, et moi j’aime bien la culture française, la cinématographie, la musique… C’est pour cela que j’ai décidé d’apprendre le français. »
Rendez-vous désormais en 2026 pour la huitième édition du Concours de lecture en français à voix haute, qui comme l’espèrent bien ses organisateurs et tous les professeurs, continuera à transmettre la passion de la langue de Robert Desnos et d’autres poètes français aux étudiants tchèques.